Dans les marchés animés de Madina ou de Niger, le poulet congelé trône en maître : cuisses luisantes, ailes empilées, prêts à griller pour un taboulé dominical. Mais derrière cette abondance apparente se cache une dépendance alarmante. La Guinée, pays de 14 millions d’habitants, consomme chaque année plus de 70 000 tonnes de volaille importée, soit près de 95 % de sa consommation totale.
D’où viennent ces volatiles qui ont envahi nos frigos ? Principalement du Brésil, avec une touche européenne, et ils posent un vrai casse-tête économique pour les aviculteurs guinéens.
Une origine lointaine : Brésil en tête, Europe en renfort
Les poulets qui atterrissent sur les étals guinéens ne picorent pas dans nos savanes. Leur provenance principale ? Le Brésil, géant mondial de l’exportation de volaille, qui fournit la majorité des cargaisons congelées.
« Le produit provient d’Europe, mais aussi et surtout du Brésil », confirme Fatme Youssef, directrice générale d’Africaine de Distribution, un des gros importateurs.
L’Union européenne, via des pays comme la France et la Belgique, complète le tableau, surtout pour les poussins d’élevage importés – 60 % français, 33 % belges.
Ces importations ont explosé : de 37 000 tonnes en 2017 à 52 000 en 2023, pour culminer à 70 000 tonnes en 2025.
Pourquoi le Brésil ? Son industrie avicole, ultra-industrialisée, produit à bas coût grâce à des élevages intensifs et des subventions. Résultat : un poulet entier importé se vend à seulement 25 000 francs guinéens (environ 2,5 euros) l’unité, contre 50 000 à 100 000 pour un poulet local.
Mais attention, les prix flambent : en octobre dernier, un kilo de cuisse est passé de 25 000 à 30 000 GNF, ravivant les tensions entre importateurs et autorités.
Commercialisation : Un circuit bien huilé, mais sous tension
La chaîne de commercialisation des poulets importés est un ballet bien rodé. Les cargaisons arrivent par containers au port de Conakry, dédouanées puis distribuées par des grossistes comme Africaine de Distribution. Direction les marchés populaires, les supermarchés et surtout les restaurants-fast foods, où le poulet brésilien règne en star des grillades.
Le marché global pèse entre 45 et 60 millions d’euros par an, un pactole qui attire les opérateurs.
Sur les étals, c’est la guerre des prix : le foie, autrefois à 30 000 GNF le kilo, grimpe lui aussi, alimentant les spéculations. Les vendeurs, souvent des femmes entrepreneuses, se plaignent d’une « ruée » saisonnière, comme à l’approche de l’Aïd-el-Kébir, où la demande explose.
Mais cette fluidité cache des zones d’ombre : concurrence déloyale avec le poulet local, qui peine à rivaliser malgré sa saveur supérieure et son aspect « bio » (élevé en plein air).
Les ombres au tableau : Une filière locale asphyxiée
Cette invasion importée n’est pas sans conséquences. La production guinéenne, concentrée autour de Conakry, Kindia ou Labé, ne couvre que 5 % des besoins.
Les fermiers locaux, comme ceux de l’Association nationale des producteurs de viande de volaille (APVG), crient au scandale : coûts des intrants exorbitants (aliments, vaccins), manque de financement et concurrence des bas prix importés mènent à la faillite. Usines à l’arrêt, salariés au chômage : en 2023, la filière locale menaçait de s’effondrer complètement.
Boubacar Dansoko, porte-parole des aviculteurs, alerte : « Nous demandons un contrat-programme avec l’État pour produire 100 000 tonnes en cinq ans et créer 250 000 emplois.
Sans cela, la souveraineté alimentaire reste un mirage, et le poulet local, patrimoine culinaire guinéen, risque l’oubli.
L’État se réveille : Vers une « guerre du poulet » salvatrice ?
Le gouvernement, conscient du problème, passe à l’action. Le ministre de l’Élevage, Félix Lamah, vise 35 % de production locale d’ici fin 2026, via des subventions et une réforme du marché. »Le marché n’est pas organisé pour protéger la production nationale », tonne-t-il, appelant à une « réforme en profondeur ».
Reste à savoir si ces mesures suffiront à inverser la tendance. Pour l’instant, le Brésil continue de plumer l’Afrique de l’Ouest, au propre comme au figuré. Et si la « guerre du poulet » tant redoutée éclatait enfin, ce serait peut-être pour le meilleur : un plat guinéen 100 % made in Guinea.
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