Après des mois, voire des années, de négociations, d’études de faisabilité et de montage financier, les travaux commencent enfin et le béton est coulé. Mais le résultat final d’un projet énergétique ne dépend pas uniquement des aspects techniques ou de la mise en œuvre par la Chine.
Cela dépend aussi de ce qui se passe dans le pays d’origine, de la manière dont le gouvernement hôte surveille, gère et maintient le contrôle pendant la mise en œuvre.
Ce numéro de la série « Le vase de porcelaine au bout de l’arc-en-ciel » examine ce qui se passe une fois le financement obtenu et le contrat du contractant finalisé. Il explore comment les gouvernements africains exercent leur pouvoir d’action pendant la phase de réalisation des projets énergétiques soutenus par la Chine, et quelles sont les conséquences en termes de coûts, de qualité et de délais.
Alors que les articles précédents portaient sur les modalités de financement, les achats et la structure de l’engagement chinois, cet article examine la mise en œuvre et les facteurs qui influencent les résultats sur le terrain.
Comme indiqué dans de précédents articles, les projets de production d’électricité soutenus par la Chine en Afrique suivent souvent un modèle EPC+F. Généralement, une entreprise chinoise conçoit et construit la centrale, tandis qu’une banque de développement chinoise assure le financement. Dans ce modèle, le gouvernement hôte demeure le maître d’ouvrage du projet.
L’entrepreneur n’est pas un investisseur et ne supporte aucun risque opérationnel à long terme. Par conséquent, la responsabilité de la performance à long terme et de la conformité des infrastructures aux normes incombe entièrement à l’État.
La construction est également la phase la plus risquée du cycle de vie d’un projet. Retards, problèmes de qualité et dépassements de coûts sont des risques courants dans le secteur. Ces risques sont toutefois amplifiés lorsque le maître d’ouvrage ne dispose pas des compétences techniques nécessaires pour superviser les travaux, vérifier les étapes clés ou contester les performances insuffisantes.
La nature des financements publics chinois, où les fonds sont souvent versés directement à l’entrepreneur sur la base de certifications d’étapes clés, peut limiter davantage la capacité d’intervention des gouvernements une fois la construction commencée. Dans cet article, nous tirons les principaux enseignements que les États hôtes devraient prendre en compte lorsqu’ils entreprennent des projets financés par l’État chinois.
Projets financés par l’État chinois : enseignements pour les décideurs africains
1. La capacité est non négociable
L’un des enseignements les plus clairs des projets soutenus par la Chine est l’ importance des capacités techniques de l’État hôte. Lorsque les gouvernements hôtes déploient des ingénieurs qualifiés et des chefs de projet expérimentés, les résultats sont généralement meilleurs. Ces professionnels peuvent contester les malfaçons, vérifier l’avancement des travaux avant tout paiement et garantir le respect des clauses contractuelles. En revanche, lorsque les capacités sont limitées, que ce soit en raison d’un manque de personnel, de la faiblesse des institutions ou d’un soutien insuffisant de l’ingénieur du maître d’ouvrage, les projets sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de qualité, de retards ou d’une explosion des coûts.
2. Le pouvoir exécutif peut être une arme à double tranchant
Dans certains cas, un soutien politique de haut niveau permet de débloquer des projets au point mort ou d’obtenir des financements. Un intérêt présidentiel marqué peut accélérer les approbations, témoigner d’un engagement envers les partenaires chinois et surmonter l’inertie bureaucratique. Toutefois, lorsque l’action exécutive prime sur les processus réglementaires ou court-circuite les contrôles institutionnels, il peut en résulter des accords opaques, un contrôle insuffisant ou un mauvais rapport qualité-prix. Le soutien inconditionnel à un projet ne saurait remplacer les systèmes qui garantissent sa bonne mise en œuvre.
3. La surveillance doit être continue et non ponctuelle.
L’exercice d’une influence lors des négociations ne suffit pas. Un suivi actif doit être maintenu tout au long du projet. Cela inclut la supervision du chantier, la vérification des étapes clés et le respect des contrats. Dans certains pays de la région, un engagement initial fort a cédé la place à une mise en œuvre laxiste, entraînant une baisse de la qualité et un allongement des délais. Dans d’autres, la présence constante d’équipes techniques, souvent en collaboration avec les entreprises EPC, a permis aux projets de respecter les délais.
4. La structure peut limiter l’action
Même lorsque les gouvernements souhaitent intervenir, ils peuvent se heurter à des contraintes structurelles plus larges. Il s’agit notamment des mécanismes de financement qui versent directement les fonds à l’entrepreneur, limitant ainsi son pouvoir de négociation ; des conditions macroéconomiques qui réduisent son pouvoir de négociation ; et du cloisonnement institutionnel qui déconnecte la réalisation des projets de la planification énergétique globale.
Dans certains cas, la pression exercée pour obtenir un projet, quel qu’il soit, a conduit les gouvernements à accepter des conditions qui ont par la suite rendu difficile toute rectification du tir. Comprendre ces contraintes est essentiel pour concevoir des systèmes qui renforcent, plutôt qu’ils ne sapent, l’autonomie des acteurs.
5. L’appropriation engendre la responsabilisation
Dans les projets financés par l’État, c’est le gouvernement, et non l’entrepreneur, qui est propriétaire du bien. Il est donc le principal responsable de la rentabilité du projet. Lorsque les gouvernements assument pleinement ce rôle, en affectant des experts techniques aux équipes, en veillant au respect des clauses de performance et en exigeant des comptes, les résultats s’améliorent. En revanche, lorsqu’ils délèguent trop de pouvoir aux entrepreneurs ou présument que le projet s’autorégulera, les risques s’accroissent.
En Afrique subsaharienne, les gouvernements s’efforcent d’élargir l’accès à l’énergie, de stabiliser l’approvisionnement et de construire les infrastructures nécessaires au développement. Les projets énergétiques soutenus par la Chine ont joué un rôle central dans cet effort. Toutefois, si les capacités financières et de construction chinoises permettent de réaliser des projets rapidement et à grande échelle, c’est souvent l’action de l’État hôte qui détermine leur réussite.
Projets internationaux, choix nationaux
Cet article, à l’instar des autres articles de la série « Le vase de porcelaine au bout de l’arc-en-ciel » , remet en question les récits simplistes concernant les infrastructures chinoises en Afrique. Il démontre que les résultats ne sont pas prédéterminés par l’identité du bailleur de fonds ou de l’entrepreneur. Ils sont au contraire façonnés par les décisions, les capacités et les priorités des gouvernements africains à chaque étape du cycle de vie du projet.
À mesure que la région progresse, il est essentiel de ne pas se contenter d’attirer des capitaux ou de sélectionner des entreprises, mais de renforcer les institutions et les systèmes qui garantissent la réalisation des projets. Du renforcement des capacités à la réforme des marchés publics, en passant par le contrôle réglementaire et la coordination interministérielle, le véritable levier de réussite réside en interne. En investissant dans ces capacités, les gouvernements peuvent s’assurer que les projets qu’ils mettent en œuvre aujourd’hui créeront de la valeur pour les décennies à venir.
Alors que s’achève cet avant-dernier article de la première partie de « Le pot de porcelaine au bout de l’arc-en-ciel », une chose est claire : les résultats en matière d’infrastructures ne sont pas simplement importés ; ils sont façonnés, orientés et parfois bloqués par des choix nationaux.
La manière dont les gouvernements exercent leur pouvoir d’action lors de la mise en œuvre d’un projet peut en déterminer le succès ou l’échec, quelle que soit la source de financement.
Dans le dernier article de ce premier chapitre, nous passons des projets individuels à des réflexions plus larges, en rassemblant les principaux enseignements de ce voyage à travers la production d’électricité soutenue par la Chine en Afrique, et ce qu’ils signifient pour l’avenir des infrastructures du continent.
Par Adjekai Adjei











