L’opposant historique camerounais Anicet Ekane, figure emblématique de la gauche nationaliste et président du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem), est décédé ce lundi 1er décembre à l’âge de 74 ans, alors qu’il était détenu au Secrétariat d’État à la Défense (SED) de Yaoundé. Son avocat, Emmanuel Simh, a confirmé le décès survenu « en situation de privation de liberté », ravivant les soupçons d’une détention inhumaine orchestrée par le régime de Paul Biya.
Arrêté le 24 octobre dernier à Douala, à la veille de la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle du 12 octobre – qui a reconduit pour un septième mandat le président sortant Paul Biya –, Ekane avait été inculpé pour « insurrection », « rébellion », « hostilité contre la patrie » et « incitation à la révolte ». Il avait été interpellé aux côtés d’autres responsables politiques soutenant publiquement la candidature d’Issa Tchiroma Bakary, rival farouche du pouvoir en place. Transféré à Yaoundé, son état de santé, déjà précaire en raison de problèmes respiratoires chroniques, s’est rapidement dégradé. Son parti avait alerté à plusieurs reprises sur la confiscation de ses équipements médicaux essentiels, dont un extracteur d’oxygène, dénonçant une « non-assistance à personne en danger ».
« Ekane est mort pour la République, déniée par ses geôliers », a tonné l’avocat Hippolyte Meli Tiakouang dans une déclaration poignante, accusant les autorités d’une « administration de mort lente ». Ni présenté à un juge ni formellement inculpé, l’opposant aurait été maintenu dans une détention illégale au Service central des recherches judiciaires (SCRJ), une structure qualifiée de « prison secondaire ». Le Manidem, par la voix de son vice-président Valentin Dongmo, avait imploré un transfert hospitalier d’urgence, en vain. « Le régime de Yaoundé tiendra responsable des conséquences de ce refus », avertissait un communiqué du parti daté de fin novembre, étrangement prémonitoire.
Une vie au service de la dissidence
Né le 17 avril 1951 à Douala, Georges Anicet Ekane a consacré près de 50 ans à la lutte politique au Cameroun. Héritier des combats indépendantistes de l’Union des populations du Cameroun (UPC), il a milité dans les rangs syndicaux avant d’être arrêté en février 1990 pour ses activités au sein de l’UPC-Manidem. Condamné par un tribunal militaire, il n’a été gracié qu’en août de la même année. Fondateur en 1995 du Manidem, légalisé après des années de clandestinité, Ekane s’est imposé comme une voix critique et intransigeante. Candidat aux présidentielles de 2004 et 2011, il a refusé systématiquement les sirènes du pouvoir, soutenant tour à tour Maurice Kamto et Issa Tchiroma Bakary dans leurs assauts contre le longévité de Paul Biya.
Animateur des « villes mortes » des années 1990 et porte-parole infatigable de l’opposition, Ekane incarnait une gauche nationaliste farouchement anticolonialiste. « C’était un homme vrai, profondément humain », a salué l’avocate Alice Nkom, pilier des droits humains au Cameroun. Son décès, survenu dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre au centre médical militaire de la Gendarmerie nationale, intervient dans un contexte post-électoral tendu, marqué par des manifestations, des « villes mortes » et des affrontements avec les forces de l’ordre.
Réactions en cascade et appel à l’enquête
La nouvelle a provoqué une onde de choc au Cameroun et au-delà. Sur les réseaux sociaux, les hommages affluent, mêlés à des accusations d’assassinat politique. L’Union pour le changement (UPC), dont Ekane était une figure centrale, dénonce un « crime odieux » et promet « dix mille résistants » pour poursuivre son combat. « Un combattant comme Ekane ne meurt jamais ; il en accouche dix mille autres », clame le parti dans un communiqué appelant à une enquête internationale.
Jean Blaise Gwet, candidat à la présidentielle de 2025, a réagi dans une vidéo émouvante, soulignant que « la mission d’Ekane continue ». Le Parti des Démocrates Camerounais (PDC) exprime sa « stupeur » face à cette perte, tandis que des figures comme Maria Malagardis, grand reporter à *Libération*, relayent l’événement comme un « drame qui place la gouvernance camerounaise face à une crise majeure des droits de l’homme ».
L’Union européenne, bien que sans déclaration officielle à ce stade, est attendue pour exiger une enquête transparente. Amnesty International et Human Rights Watch, déjà vigilants sur les conditions de détention au Cameroun, pourraient amplifier la pression internationale. À Yaoundé, les médias locaux ont interrompu leurs programmes pour des directs spéciaux, tandis que des manifestations sporadiques éclatent à Douala, où des graffitis interrogeants « Mort ou assassiné ? » fleurissent sur les murs.
Ce décès n’est pas un fait divers : il est un révélateur brutal des fractures d’un pays miné par 40 ans de règne quasi-ininterrompu de Paul Biya. Alors que le Cameroun ploie sous les crises anglophone, centrafricaine et post-électorale, la mort d’Anicet Ekane pourrait devenir le catalyseur d’une mobilisation plus large. Reste à savoir si Yaoundé osera affronter la lumière qu’exige ce sacrifice.
La Rédaction











