L’élection présidentielle camerounaise du 12 octobre dernier continue de tenir le pays en haleine. Alors que les résultats officiels se font attendre, l’opposant Issa Tchiroma Bakary revendique une victoire écrasante, ravivant les espoirs d’alternance face à Paul Biya, au pouvoir depuis 43 ans.
Le scrutin, marqué par un calme relatif mais entaché d’irrégularités, pourrait redessiner l’avenir politique du Cameroun.
Un vote sous haute tension
Près de 8 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour élire le président de la République, dans un scrutin à un tour. Malgré un fort déploiement sécuritaire, notamment dans les régions anglophones en proie à un conflit séparatiste, le vote s’est déroulé sans incidents majeurs. La participation, modérée, a toutefois été dopée par un assouplissement des “villes mortes” imposées par les séparatistes, permettant une affluence notable dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, contrairement à 2018.
Paul Biya, favori contesté
À 92 ans, Paul Biya, président depuis 1982, brigue un huitième mandat. Discret durant la campagne, absent des meetings, il s’appuie sur la machine bien huilée du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), qui domine les institutions. Mais sa santé fragile et l’absence d’un successeur clair au sein du parti suscitent des interrogations. Face à lui, seuls 12 candidats (dont une femme) ont été validés sur 83 dossiers, l’opposant Maurice Kamto, figure de 2018, ayant été écarté dans des circonstances controversées.
Tchiroma, l’outsider qui bouscule
Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre de Biya ayant rompu avec le pouvoir en juin 2025, s’impose comme le principal challenger. Ses excuses publiques pour avoir minimisé la crise anglophone lui ont valu un soutien massif dans le Nord et les régions anglophones. Dès le 13 octobre, il a revendiqué la victoire, s’appuyant sur des résultats partiels issus de la plateforme citoyenne “Résultats du peuple”. Celle-ci lui attribue 75,39 % des voix sur 21 500 procès-verbaux (PV), soit environ 3,5 millions de suffrages. Une annonce prématurée qui a provoqué l’ire du ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, menaçant de sanctions.
Irrégularités et mobilisation citoyenne
Malgré des efforts de transparence (biométrisation des listes avec l’appui de firmes allemandes et de l’ONU), des irrégularités ont été signalées : électeurs absents des listes à Douala et Yaoundé, bulletins pré-remplis pour Biya, échauffourées à Garoua entre forces de l’ordre et supporters de Tchiroma. L’ONG “Un monde à venir”, avec 800 observateurs, pointe des dysfonctionnements organisationnels. Cabral Libii, autre opposant, revendique quant à lui la collecte de 25 000 PV pour contester d’éventuelles fraudes.
Une attente fébrile
Le dépouillement, géré par l’organisme électoral ELECAM, est en cours. Le Conseil constitutionnel dispose jusqu’au 26 octobre pour proclamer les résultats définitifs. Sur la plateforme X, les Camerounais s’impatientent, moquant la lenteur du processus et rêvant d’une alternance historique. “2025, l’éternité électorale”, ironise un internaute. Les analystes prédisent toutefois une victoire de Biya, fort de son contrôle institutionnel, bien que l’élan pour Tchiroma et la mobilisation citoyenne autour des PV pourraient compliquer la donne.
Vers une transition incertaine ?
Dans un pays miné par la corruption (140e sur 180 à l’indice de Transparency International), un chômage urbain de 35 % et une pauvreté touchant 40 % de la population, cette élection cristallise les espoirs et les frustrations. La crise anglophone, qui a déplacé un million de personnes, reste un défi majeur. Une alternance pacifique semble fragile, avec des risques de tensions post-électorales. L’opposition, bien que fragmentée, appelle à des réformes électorales, notamment l’inclusion de la diaspora.
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