À 92 ans, Paul Biya vient de décrocher un huitième mandat présidentiel, prolongeant ainsi son règne de 43 ans sur le Cameroun. Avec 53,66 % des suffrages, selon le Conseil constitutionnel, le « Lion indomptable » devance largement son principal challenger, l’opposant Issa Tchiroma Bakary (35,19 %). Mais derrière cette victoire officielle, le pays est en ébullition : manifestations réprimées, accusations de fraude et un peuple divisé qui questionne l’avenir d’une démocratie usée jusqu’à la corde.
Une élection sous haute tension
L’annonce des résultats, ce lundi 27 octobre, n’a surpris personne. Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, avait déjà balayé les élections de 2018 avec plus de 70 % des voix. Cette fois, le scrutin du 12 octobre s’est déroulé dans un climat électrique, marqué par des boycotts partiels et des irrégularités dénoncées dès les bureaux de vote. « C’est une mascarade électorale », tonne un militant anonyme à Douala, où quatre personnes ont perdu la vie dimanche lors de heurts entre forces de l’ordre et manifestants pro-opposition.
Les rues de la capitale économique ont été le théâtre des affrontements violents : gaz lacrymogènes, charges de police et barricades enflammées. Les autorités parlent de « troubles isolés », mais les images de jeunes fuyant les balles en caoutchouc ont fait le tour des réseaux sociaux. À Yaoundé, la vigilance est maximale, avec un déploiement massif de forces de sécurité autour du palais présidentiel. Le pays, déjà miné par la crise anglophone dans l’Ouest et les défis économiques – inflation galopante et chômage des jeunes à plus de 30 % –, risque de basculer dans une instabilité prolongée.
L’opposition crie au vol : « Biya doit partir ! »
La classe politique camerounaise est coupée en deux. Du côté du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, c’est l’euphorie. « Le peuple a parlé, Paul Biya est le choix de l’histoire », s’exclame un cadre du parti, qui voit dans cette réélection une « stabilité bienvenue » face aux « menaces extérieures ». Mais les félicitations officielles masquent mal les interrogations sur la succession : à 92 ans, qui après Biya ? Le silence du président, souvent absent des radars médiatiques, alimente les rumeurs d’un régime en pilotage automatique.
L’opposition, elle, est unanime dans la fureur. Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre passé dans l’opposition avec son Front social national camerounais (FSNC), a revendiqué la victoire dès le lendemain du vote. « Ces résultats sont truqués, le peuple a voté pour le changement », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse explosive, appelant à une « mobilisation pacifique mais déterminée ».
D’autres figures, comme Maurice Kamto (leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun, absent du scrutin), dénoncent un « hold-up constitutionnel ». « C’est la fin d’une ère, mais le début d’une résistance », lâche un député d’opposition sous couvert d’anonymat, craignant les arrestations arbitraires.
Sur les réseaux sociaux, la jeunesse camerounaise – plus de 60 % de la population a moins de 25 ans – exprime un ras-le-bol virulent. Des hashtags comme #FreeCameroun et #BiyaMustGo pullulent, avec des memes moqueurs sur le « président éternel ». Un internaute résume : « 92 ans pour un mandat de 7 ans ? C’est une blague cosmique. »
Vers un Cameroun fracturé ?
Au-delà des chiffres, cette réélection cristallise les fractures d’un pays en sursis.
La crise sécuritaire dans les régions anglophones, qui a fait plus de 6 000 morts depuis 2016, n’a pas été apaisée. L’économie stagne, avec une croissance à peine à 3 % alors que la dette explose. Les alliés internationaux, comme la France et les États-Unis, appellent à la « transparence », mais leurs déclarations restent tièdes, préservant des intérêts géostratégiques.
Pour les analystes, le vrai enjeu est la transition. « Biya a gagné la bataille, mais la guerre pour la démocratie est loin d’être finie », estime un expert en sciences politiques à l’Université de Yaoundé. Si les manifestations s’amplifient, le régime pourrait durcir la répression, risquant un embrasement général. Reste à savoir si ce huitième mandat sera celui de la réforme… ou de l’agonie.
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