Sydney, 9 décembre 2025 – Pour la première fois dans l’histoire, un pays claque la porte des réseaux sociaux au visage des adolescents. Dès ce mercredi 10 décembre, l’Australie interdit purement et simplement l’accès à des plateformes comme Instagram, TikTok, Facebook, Snapchat ou encore X aux mineurs de moins de 16 ans.
Une mesure radicale, votée il y a un an, qui entre en vigueur aujourd’hui et qui pourrait bien inspirer le reste du monde. Mais entre protection des jeunes et liberté numérique, la bataille ne fait que commencer.
Une loi pionnière contre les « prédateurs en ligne »
C’est une décision qui fait l’effet d’une bombe à Canberra. Le Parlement australien, emmené par le Premier ministre Anthony Albanese, a adopté en novembre 2024 cette législation historique, qualifiée de « réponse appropriée » au fléau des réseaux sociaux. « Ces plateformes sont une source de pression sociale, d’anxiété, un canal pour les escrocs et, pire que tout, un outil pour les prédateurs en ligne », a tonné M. Albanese lors du vote. Son appel est clair : « Lâchez vos téléphones et filez sur les terrains de foot, de cricket ou à la piscine ! »
À partir de minuit ce 10 décembre (heure locale), les géants de la tech ont l’obligation de prendre des « mesures raisonnables » pour bloquer les moins de 16 ans. Cela signifie : interdiction de créer de nouveaux comptes, désactivation ou suppression des profils existants, et surveillance des tentatives de contournement. Les plateformes visées ? Une liste non exhaustive qui inclut Facebook, Instagram, Threads, TikTok, Snapchat, YouTube, Reddit, X (ex-Twitter), Twitch et Kick. WhatsApp, Discord ou YouTube Kids passent pour l’instant entre les mailles du filet, mais le gouvernement promet d’élargir la liste si nécessaire.
Les sanctions ne rigolent pas : amendes pouvant atteindre 50 millions de dollars australiens (environ 30 millions d’euros) pour les contrevenants. Meta, maison-mère d’Instagram et Facebook, a pris les devants en supprimant dès la semaine dernière des centaines de milliers de comptes d’utilisateurs australiens âgés de 13 à 15 ans. « Nous informons les jeunes qu’ils retrouveront l’accès à leurs contenus à leurs 16 ans, tels qu’ils les ont laissés », a indiqué la firme dans un communiqué. TikTok et Snapchat suivent le mouvement, tandis que YouTube s’appuiera sur les âges déclarés via les comptes Google pour exclure automatiquement les mineurs – même si l’accès anonyme sans compte reste possible pour visionner des vidéos.
Des parents soulagés, des ados furieux
Pour beaucoup de familles, c’est un soulagement. « Enfin une loi qui protège nos enfants des algorithmes addictifs et des risques d’exploitation », se réjouit Sarah Thompson, mère de deux adolescents à Melbourne. Le gouvernement australien justifie cette interdiction par des études alarmantes : cyberharcèlement, troubles anxieux et exposition à des contenus toxiques touchent un jeune sur trois. Greg Attwells, du groupe militant « 36 Months », y voit un « tampon bienvenu » : « Il s’agit de laisser les enfants se découvrir eux-mêmes avant que le monde ne le fasse pour eux. »
Mais les réactions sont vives du côté des jeunes. « Je ne pense pas que ça changera grand-chose, on trouvera des moyens de contourner », lâche Layton Lewis, 15 ans, interrogé par la BBC. Et les experts doutent de l’efficacité : reconnaissance faciale, pièces d’identité ou IA pour vérifier l’âge ? Rien n’est encore précisé, et le gouvernement admet que la mesure sera « imparfaite » au démarrage. La ministre des Communications, Anika Wells, parle d’une « période de rodage » progressive, en se concentrant d’abord sur les plateformes les plus utilisées par les mineurs.
Les géants du Net, eux, grincent des dents. Meta et YouTube ont qualifié la loi de « précipitée », craignant une perte massive d’utilisateurs – Instagram compte seul 350 000 ados australiens de 13-15 ans. Un recours judiciaire a même été déposé devant la Haute Cour par un groupe de défense des droits numériques, arguant d’une atteinte à la liberté d’expression.
Un précédent mondial qui fait des vagues
Cette interdiction n’arrive pas de nulle part. L’Australie, déjà pionnière en matière de régulation numérique (avec des lois anti-cyberharcèlement strictes), surfe sur une vague globale. En France, le gouvernement suit de près cette « expérimentation grandeur nature », comme le note Justine Atlan de l’association e-Enfance. L’Espagne prépare un projet similaire pour les moins de 16 ans, la Floride (États-Unis) bloque les comptes dès 14 ans dès janvier 2025, et la Chine restreint déjà l’accès aux mineurs depuis 2021.
Reste une question lancinante : isolera-t-on les ados des communautés en ligne bienveillantes ?
Pour l’instant, l’Australie parie sur le bien commun. À suivre de près : si le modèle tient la route, les scrollers du monde entier pourraient bientôt devoir grandir un peu plus vite.
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