L’Afrique aborde l’année 2025 avec une opportunité historique. Pour la première fois, l’Union africaine place les réparations au cœur de son agenda continental, les intégrant à sa stratégie continentale globale pour 2025.
Cet engagement nous invite à affronter un passé douloureux, mais surtout à repenser les systèmes qui continuent aujourd’hui de compromettre les perspectives de l’Afrique.
À cette fin, les réparations doivent corriger les profonds déséquilibres structurels afin que la terre, le peuple et les ressources de l’Afrique soient au service d’une prospérité partagée, et non d’inégalités persistantes.
L’expérience africaine est singulière. Nul n’ignore que, tandis que l’Afrique continue d’évoluer au sein d’un ordre mondial façonné par l’esclavage, la colonisation et la dépossession, la même logique extractive qui a jadis accaparé les terres se manifeste aujourd’hui par des régimes commerciaux inégaux, des coûts d’emprunt exorbitants et des évaluations de crédit qui sous-estiment les économies africaines. À cet égard, la gouvernance foncière, la justice et les réparations ne relèvent pas de débats passéistes ; elles constituent des instruments essentiels de renouveau pour un continent qui demeure un producteur marginal et un preneur de prix au sein des chaînes de valeur mondiales.
C’est pourquoi les conclusions de la Conférence de 2025 sur la politique foncière en Afrique (CLPA), qui s’est tenue du 10 au 14 novembre dans l’historique Salle Afrique de la Commission économique pour l’Afrique, revêtent une importance capitale. Placée sous le thème « Gouvernance foncière, justice et réparations pour les Africains et les descendants des peuples de la diaspora africaine », la conférence a placé la terre au cœur du lien entre les injustices historiques, l’exclusion actuelle et les perspectives d’avenir. Elle offre une plateforme continentale pour concevoir les réparations comme un programme d’avenir qui associe droits fonciers, financement équitable, résilience climatique et industrialisation.
Le déséquilibre est flagrant. Malgré la présence d’environ 30 % des réserves minérales mondiales, de 65 % des terres arables non cultivées et de la population la plus jeune du monde, l’Afrique ne représente qu’une faible part du commerce mondial et environ 2 % de la production manufacturière mondiale. Le continent perd chaque année environ 88 milliards de dollars américains en raison des flux financiers illicites, tandis que des notations de crédit injustes et un accès limité aux financements climatiques perpétuent un cercle vicieux où la richesse en ressources naturelles ne se traduit pas par une transformation structurelle.
Comme l’ont conclu les parties prenantes, notamment les agriculteurs, les autorités traditionnelles, le secteur privé, le monde universitaire, les gouvernements et les partenaires de la Commission économique pour l’Afrique et de ses partenaires co-organisateurs – l’Union africaine et la Banque africaine de développement –, les réparations transformatrices doivent s’attaquer aux règles, aux incitations et aux institutions qui maintiennent l’Afrique au bas des chaînes de valeur mondiales, y compris celles qui privilégient les exportations de matières premières brutes au détriment de la valeur ajoutée.
Cela implique de supprimer les incitations qui contraignent les pays africains à exporter des fèves de cacao plutôt que du chocolat, du lithium plutôt que des batteries électriques, ou du pétrole brut plutôt que des produits pétrochimiques. Les réparations doivent permettre à l’Afrique de créer et de conserver de la valeur, et non de la céder.
Aux niveaux national et local, cela commence par le renforcement de la gouvernance foncière et de la sécurité d’occupation, notamment pour les femmes, les jeunes et les petits exploitants agricoles. En effet, des systèmes fonciers sûrs et transparents ne sont pas seulement une question de justice ; ils sont essentiels à la sécurité alimentaire, à l’investissement, à la stabilité sociale et à la paix. Ils doivent constituer le fondement de tout programme de réparations sérieux. De même, la gouvernance foncière doit être définie au niveau national – façonnée par les cadres juridiques souverains, les contextes locaux et les priorités des communautés. Cela signifie que les réparations ne peuvent imposer des solutions uniformes ; elles doivent au contraire donner aux pays les moyens de déterminer et de mettre en œuvre des solutions adaptées à leurs réalités nationales. Par ailleurs, les outils numériques et les pratiques climato-intelligentes peuvent moderniser l’administration foncière, protéger les écosystèmes et veiller à ce que les communautés les plus vulnérables aux changements climatiques ne soient pas davantage marginalisées ou laissées pour compte.
Il est tout aussi crucial que les institutions et les acteurs puissent concrétiser cette vision. Les universités africaines, par exemple, doivent renforcer leur rôle de moteurs de la connaissance appliquée à la résolution des problèmes. Elles devraient adapter leurs programmes aux industries de demain, valoriser les savoirs autochtones et développer des innovations qui contribuent à la gouvernance foncière, au développement industriel et à la résilience climatique. En collaborant directement avec les décideurs politiques et en encourageant les jeunes talents, les universités peuvent transformer la question des réparations, passant du simple discours à des politiques concrètes.
Dans ce contexte, les opportunités offertes par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) sont déterminantes. Avec un PIB cumulé d’environ 3 400 milliards de dollars américains, la ZLECAf représente l’échelle dont l’Afrique a besoin pour transformer ses ressources naturelles en chaînes de valeur régionales, en produits africains compétitifs et en marchés intérieurs dynamiques. Les réparations doivent donc être liées à l’intégration régionale, non seulement pour corriger les préjudices historiques, mais aussi pour créer de nouvelles perspectives économiques qui mèneront à des emplois dignes, à des industries compétitives et à une prospérité partagée.
Les réparations transformatrices doivent également reconnaître la sixième région de l’Afrique – la diaspora – comme un partenaire stratégique et non comme un acteur périphérique. Les capitaux, l’expertise et le plaidoyer de la diaspora peuvent accélérer les transitions industrielle, numérique et du savoir de l’Afrique s’ils sont canalisés par des mécanismes structurés alignés sur les priorités continentales.
De même, le soutien de l’Afrique à sa diaspora devrait aller au-delà des envois de fonds et s’étendre à des politiques qui protègent leurs droits, reconnaissent leurs contributions et intègrent leurs intérêts dans les pays où ils résident.
En définitive, les réparations qui comptent vraiment se mesureront non pas à ce qu’elles symbolisent, mais à leur capacité à rééquilibrer les pouvoirs en matière de terres, de capitaux, de technologies et de savoirs. Lorsque la finance mondiale deviendra équitable, lorsque les droits fonciers seront garantis et inclusifs, lorsque les industries africaines transformeront les ressources africaines pour les marchés africains et internationaux, alors les réparations commenceront à atteindre leur objectif.
Dans ce futur, la terre ne sera plus une source de dépossession, mais le fondement d’une Afrique juste, prospère et confiante.
Claver Gatete est le secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), dont le siège est à Addis-Abeba, en Éthiopie.
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